IA, investissements, rapprochement startups/GE : « Quelle place pour Aix-Marseille sur l’échiquier mondial ? »

Le 31 janvier 2018 s’est tenue une table-ronde organisée par la Tribune à la Kedge Business School, l’école de commerce de Marseille nichée non loin des calanques.

Le thème : « Quelle place pour Aix-Marseille sur l’échiquier mondial ? ».

Vous avez souri ?

Peut-être faites-vous partie de ceux qui se représentent Aix-Marseille comme un territoire qui peine déjà à briller au niveau national, alors « sur l’échiquier mondial », pensez-vous…

Mais ça, c’est sans compter sur l’innovation et le numérique, qui offrent potentiellement de nouvelles possibilités de développement. Pour peu qu‘ils reçoivent du crédit de la part des acteurs de l’économie locale… et des crédits de la part des investisseurs.

Notons que la French Tech Aix-Marseille au CES de Las Vegas comptait 20 startups cette année, et que la délégation française est la plus importante juste après la délégation américaine.

 

Pour discuter de ces sujets, La Tribune avait donc invité :

  • Pierre Grand Dufay, Président du fonds d’investissement Tertium,
  • Philippe Bernand, Président du directoire de l’Aéroport Marseille Provence,
  • Elisabeth Coquet Reinier, vice-présidente CCIMP en charge de l’attractivité et du rayonnement touristique,
  • Michael AMAR, Fondateur de la société Ifeelgoods.

Notoriété et image d’Aix-Marseille à l’étranger

Première question posée spécifiquement à Michael Amar, entrepreneur français installé dans la Silicon Valley pendant 9 ans, fondateur d’IfeelGoods et revenu depuis peu en France, à Marseille : quelle image a le territoire Aix-Marseille à l’étranger ?

« La question va fâcher du monde », prévient tout de suite l’entrepreneur. Outre le peu de connaissance des différents territoires français aux États-Unis, hormis la Côte d’Azur pour les vacances, des histoires comme celle de Dailymotion auraient terni l’image de la France aux États-Unis.

Paris commencerait tout juste à gagner en notoriété, notamment avec Station F et, le malheur des uns faisant –parfois- le bonheur des autres, des problèmes politiques aux USA, conjugués à une amélioration politique en France, ainsi que des problèmes de recrutement dans la Silicon Valley seraient autant de signaux positifs pour la France en général.

Elisabeth Coquet Reinier, vice-présidente CCIMP, mise quant à elle sur la notoriété de la France sur d’autres territoires, notamment sur le continent africain, pour se projeter à l’international.

Selon elle, les croisières passant par Marseille commencent aussi à porter leurs fruits en termes de notoriété.

Pour Philippe Bernand, président du directoire de l’Aéroport Marseille Provence, le territoire d’Aix-Marseille aurait une bonne notoriété dans les pays… où le foot tient une place importante. (Ce qui est assez logique, quand on y pense… )

Pour lui, l’aéroport joue un rôle indispensable au développement du territoire et à son rayonnement à l’étranger.

Elisabeth Coquet Reinier, vice-présidente CCIMP
en charge de l’attractivité et du rayonnement touristique

Michael Amar, fondateur de la société Ifeelgood,
membre du Selection Board de Station F

Quels sont les atouts du territoire et des entreprises régionales ?

Pour Elisabeth Coquet Reinier, les entreprises locales commencent à être reconnues pour leur capacité d’innovation.

Pour Michael Amar, aucun doute, il y a un « énorme potentiel ». Barcelone et Lisbonne rayonnent bien dans le digital et comme incubateurs de projets, pourquoi pas Aix-Marseille ? Et pour ce faire, il faut une « volonté politique ». Mais nul besoin de vouloir concurrencer la Silicon Valley, Aix-Marseille peut aussi bien se spécialiser dans 2, 3 domaines maximum. Pour illustrer sa proposition, il donne l’exemple de Los Angeles qui, ancrée dans l’entertainment, a tout misé sur la réalité virtuelle pour émerger face à la Silicon Valley : c’est une stratégie gagnante depuis environ 2 ans.

Pour sa première intervention, Pierre Grand Dufay, président du fonds d’investissement Tertium, rappelle que Marseille a été au centre du monde et des échanges commerciaux pendant très longtemps.
Le digital, c’est bien, mais l’avenir, c’est l’intelligence artificielle !
Et dans ce domaine, la France part avec de solides atouts, notamment car l’enseignement des mathématiques y est excellent. Or l’IA, ce sont des maths. Ajoutez à cela le crédit d’impôt recherche, la relocalisation des entreprises et le positionnement géographique central de la France, tous les feux sont au vert, a fortiori dans le sud de la France.

En résumé, « the best is yet to come ». Enfin, le meilleur est à venir.

Mais pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Pour Michael Amar, 6 mois de formation suffisent à un développeur en Javascript pour maîtriser la blockchain. Pour peu que les pouvoirs publics y prêtent attention (accordent des crédits ?), voici une piste facile à saisir, à moindre coût, et à fort impact.

Elisabeth Coquet Reinier rappelle pour sa part la récente implantation de Quechen, le « géant chinois » des pneus verts, à Fos-sur-Mer.

Pour Pierre Grand Dufay, la robotisation permettrait à l’Europe de l’Ouest de redevenir compétitive par rapport aux pays où la main d’œuvre est moins chère, et, à coût de production égal, les entreprises comprennent leur intérêt de relocaliser, notamment pour être plus près des centres de recherche. Certes, il y a un déficit en formation, mais le sud de la France dispose d’écoles d’ingénieurs, d’un excellent système de santé et de très bonnes infrastructures.
Le Brexit et les récents remous en Catalogne seraient autant d’opportunités pour le territoire Aix-Marseille.

Philippe Bernand, président du directoire de l’Aéroport Marseille Provence

Pierre Grand Dufay, président du fonds d’investissement Tertium,
Conseiller Régional, président de la Commission « Economie et Emploi »,
membre de la Commission « Economie et Emploi »,
et membre de la Commission « Euro Méditerranée »

Ne pas sous-estimer les défis à affronter

Se mesurer à la Silicon Valley est une « bataille perdue d’avance » selon Michael Amar. Il faut trouver un facteur de différenciation, une place et une légitimité. Or, venir à Marseille et se lancer dans le digital à Marseille « from scratch », pour un entrepreneur « c’est pas facile ». Dans le ecommerce, aucun problème, les clients se recrutent en ligne partout en France, mais dans le B2B « bonne chance ». À Paris, il y a deux réunions par soir, chaque soir, sur la blockchain. Sur Marseille, pas une seule.
« On a un problème de réalisme ». Alors s’imaginer en concurrents de la Silicon Valley…

« Mais qu’est-ce qu’il y a de mieux là-bas, qu’on s’en inspire ! » demande Pierre Grand Dufay, piqué au vif.

« Il y a tous les meilleurs » répond Michael Amar, « j’avais fondé 3 boîtes, je croyais tout savoir… ça a été d’une difficulté incroyable ». La Silicon Valley est une « concentration de talents », et les investisseurs y sont nombreux. C’est pourquoi il faut se spécialiser. La smartcity, notamment, est une piste à explorer.

La CCIMP en a bien conscience, assure Elisabeth Coquet Reinier.

Michael Amar reprend l’exemple de Lisbonne, devenu haut lieu du digital depuis qu’elle a attiré le Web Summit en 2015, grâce à des conditions particulièrement attractives.

Une stratégie qui s’est avérée gagnante, en effet.

Laurence Bottero, qui anime la table ronde, souligne à quel point la stratégie de Lisbonne a été « agressive ».

« C’est hyper agressif et ça va aller encore plus vite » répond Michael Amar. La réalité selon lui, c’est que si on ne fait rien, c’est bientôt « 15% de chômage ». Il faut donc « faire des choix, aller vite, prendre des paris osés ».

Laurence Bottero reconnaît que « tout passe un peu par Paris », qu’il s’agisse de lever des fonds ou trouver de nouveaux clients.

Pierre Grand Dufay admet qu’il reste une « marge de manœuvre importante ». Et explicite : on est en retard par rapport aux investisseurs anglo-saxons, qui financent parfois « tout et n’importe quoi ». (Et bim)
Pourtant, en effet, il faudrait financer beaucoup plus de projets.

Michael Amar tempère : l’investissement ne doit pas venir que des business angel. Les entreprises ont besoin de se faire « bouger » par les startups. Il vaut mieux pour elles donner 30 000 € à une startup pour devenir expertes sur un sujet que de mettre 3 équipes en interne sur un sujet qu’elles ne maîtrisent pas.
Et de citer l’exemple de jeunes entrepreneurs qui, déçus du manque de débouchés dans le sud, ont préféré s’installer à Paris.

En résumé : le manque d’audace des entreprises joue en défaveur de la région.

L’exemple de Goalmap, incubé chez PFactory, et ses « 90% de clients parisiens »

C’est au tour d’un des fondateurs de Goalmap, une appli de coaching et bien-être pour les collaborateurs, de prendre la parole.

Pour lui, le diagnostic de Michael Amar est juste : c’est difficile en B2B ici, notamment en raison du manque de sensibilisation au bien-être en entreprise. Parmi leurs 15 premiers clients, « 90% sont à Paris », ce ne sont pas des entreprises basées sur Aix-Marseille.

Mais il salue les initiatives locales, comme la région PACA, qui leur a offert des places à Station F, ou The Camp, qui attire des mentors reconnus et cultive le « côté innovant » de la région.

Incubé chez Pfactory, Goalmap a pourtant les bonnes adresses, les bons contacts. Mais pour son représentant ce soir-là, les mentalités ont encore à évoluer, car à Paris, « nul besoin d’évangéliser », la problématique du bien-être des collaborateurs est prise au sérieux.

Une dernière assertion qui interpelle Elisabeth Coquet Reinier de la CCIMP. Elle propose à Goalmap de prendre rendez-vous.

Bien joué Goalmap :-)

Pour Philippe Bernand, une entreprise locale qui réalise un chiffre d’affaires de plusieurs millions d’euros peut tout à fait dédier un budget à l’innovation. Et l’investissement dans une startup, qui apporterait une avancée dans son domaine, est une stratégie gagnante.

Pierre Grand Dufay reconnaît lui aussi que, malgré les mécanismes d’aides, de subventions, beaucoup d’entreprises innovantes ont encore du mal à se financer. Ironisant sur l’entente entre les élus de la région, il espère quand même un jour voir se créer une Station F « les pieds dans l’eau ».

Investissement et culture du risque

Ça tombe bien qu’on parle de Station F parce que Michael Amar fait partie de son Selection Board. Il indique que la moitié des résidents sont étrangers, et que 20% sont américains. Et ajoute que 90% des incubateurs à Paris sont des coworking. « Fondamentalement, on a besoin de mentors » dit-il, et de clients, rappelant qu’il faut « sept ans pour faire marcher une boîte ».
Il dit être « obsessionnel sur le rapprochement grands groupe/startups » car les deux y gagnent. À tout le moins, l’entreprise aura appris de nouvelles méthodes de travail et aura eu l’occasion de s’adresser à des Millenials [NDLR : la génération née entre 1981 et 2000].

Pour Pierre Grand Dufay, les grandes entreprises font déjà ce type de rapprochement, et il doute que les PME opèrent ce type d’investissement dans d’autres pays.

Ce à quoi Michael Amar répond qu’aux États-Unis, les entreprises consacrent 10% de leur budget à la recherche et innovation, et dans ce budget, une partie est consacrée à des investissements « risqués », car les dirigeants « ont peur de rater un truc qui va changer leur business ».
C’est une autre mentalité. En France, « on n’a pas cette peur au ventre », or ce serait un moteur dans une économie de plus en plus compétitive. Selon lui, l’élection d’Emmanuel Macron est un signal ultra-positif dans ce contexte, et va faire revenir de nombreux entrepreneurs.

Pierre Grand Dufay salue quant à lui l’exonération d’ISF sur les participations dans les entreprises.

Dédramatisation de l’échec et esprit positif : la recette gagnante aux États-Unis… et en France ?

Pour Philippe Bernand « le frein c’est aussi la notion de risque ». Il regrette qu’en France on soit « complètement verrouillé » par rapport à la prise de risque, quand les américains, eux, sont « complètement décomplexés par rapport à ça ». Quand on investit sur 3, 4 entreprises, peut-être qu’un seul des investissements apportera ses fruits, ce qui compensera les pertes sur les projets qui n’ont pas fonctionné.

Une problématique pas vraiment neuve en France…

Pour Michael Amar, la réussite d’un projet a quelque chose de l’ordre de la prophétie auto-réalisatrice : c’est aussi le fait d’y croire qui fait qu’un jour, un projet décolle.

Pierre Grand Dufay y croit : « on va assister dans les années qui viennent à des développements spectaculaires » car la région a indéniablement des atouts.

Michael Amar, lui, préfère évoquer les entrepreneurs qu’il a rencontrés, et qui ont très bien réussi dans le digital. Ce qu’il a apprécié chez eux ? « Ils sont low profile, ils ont des superbes boîtes extrêmement rentables, ils ne se la racontent pas » mais on attire les investisseurs aussi grâce au marketing.
L’esprit positif, « winner » qu’il a vu au pays de l’Oncle Sam peut paraître exagéré parfois mais c’est un moteur extrêmement puissant, il rejaillit dans leur quotidien et c’est ça aussi qui leur permet de réaliser des prouesses.

Et de changer le game.

 

(Crédits photos : Kedge Business School)

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